mardi 30 mai 2017

Le Cameroun c'est le Cameroun -13-

Une crise d’eurocentrisme peut survenir n’importe quand. Elle vous tombe dessus sans prévenir, un peu comme une crise de palu. Elle attaque sournoisement vos défenses et votre intelligence et vous laisse sur le flanc, hébétée, un peu honteuse peut-être d’avoir succombé. Il m’arrive souvent de rougir intérieurement d’un regard jugeant que je jette sur une personne, une situation. Il m’arrive tout aussi souvent de bégayer une fin de phrase peu convaincante, m’apercevant en cours de route combien la monstruosité occidentalo-centrée que je m’apprêtais à proférer allait être blessante pour mon interlocuteur.

Ce matin, j’avais rendez-vous avec un ami metteur en scène, spécialiste du théâtre pour enfants, afin d’aller assister à son spectacle dans une école primaire de la ville. Après un trajet en taxi digne d’une poursuite dans film d’action américain (nous avions rendez-vous à l’école à 9 h et mon ami est arrivé pour me chercher à 9 h 30. Le taxi avait donc mandat ne pas rajouter du retard au retard, malgré les embouteillages et le chargement hétéroclite de décors et de costumes qui encombrait son coffre, autant dire qu’on se serait crus dans un remake de Mission Impossible), nous parvenons enfin à l’école primaire où doit se dérouler la représentation. Les enfants sont déjà installés devant la scène et trépignent d’impatience. Les deux comédiens du spectacle sont également là, joignant leur impatience à celle des élèves, et mon ami se précipite pour monter le décor et préparer la scène, sous le regard des mômes. 

Je m’installe au fond du préau, dans un recoin, et j’observe. Rien de ce qui se déroule devant mes yeux n’est conforme à l’idée préconçue qui se forme dans mon esprit d’occidentale lorsqu’on prononce les mots « école primaire ». Les élèves en uniforme semblent à vue de nez avoir entre 3 et au moins 12 ou 14 ans. L’un d’eux, un garçon, porte une petite fille de moins d’un an dans ses bras. Je m’invente un scénario à base de mère malade et d’aîné chargé de veiller sur la petite dernière. Ou de paternité (vraiment très) précoce, le môme doit avoir à peine 8 ans. Certains enfants mangent, d’autres observent les préparatifs qui ont lieu sur la scène, d’autres encore semblent somnoler sur leur chaise. Au fond du préau, dans un recoin, une partie de football improvisée s’organise, une bouteille en plastique vide servant de ballon.

Les institutrices sont réparties en deux groupes. Elles sont une demi-douzaine pour près de deux cents enfants, ce qui correspond à ce qu’on m’a raconté du surpeuplement des classes qui atteignent facilement soixante à quatre-vingts élèves. Celles du premier groupe sont assises, pianotent sur leurs smartphones ou écoutent de la musique, le casque de leur baladeur sur les oreilles. Celles du deuxième groupe arpentent les rangées de chaises, la chicote à la main.

La chicote. Un morceau de caoutchouc, vraisemblablement découpé dans un pneu de moto ou de voiture. Lorsque les élèves chahutent trop, les coups pleuvent. Le plus souvent sans aucun résultat, personne ici ne semble être sensible à la douleur. Un petit garçon au regard espiègle assis juste devant moi subira l’ire professorale avec le sourire. Il se retournera vers moi et me lancera un regard qui semble me dire « tu as vu, même pas mal ! » 

J’essaie d’observer sans juger. De ne pas plaquer mes références et mes jugements de valeurs sur ce qui se déroule devant mes yeux. J’essaie. 

Après quelques minutes passées à contempler la foule des enfants, une institutrice s’approche de moi et me demande qui je suis. Je lui explique que je suis une amie du metteur en scène, qu’il m’a invitée à voir son spectacle, et que je ne dérangerai pas, que je ne ferai pas de bruit, que je veux juste rester au fond de la salle pour regarder si elle veut bien (elle a une chicote à la main, on ne sait jamais, je préfère ne pas l’indisposer !) Je ne lui dis rien de plus. Ni que je travaille moi aussi dans le domaine du théâtre, ni que je suis metteure en scène, non, rien d’autre que l’invitation qui m’a été faite de venir assister au spectacle. Elle me souhaite la bienvenue et interpelle l’une de ses collègues qui nous rejoint. Tout sourire, elle lui dit alors : « Je te présente Madame qui est venue contrôler le travail du metteur en scène ».

Ma peau blanche m’a ainsi fait passer sans examen ni compétences avérées du rang de simple spectatrice à celui de contrôleuse des travaux finis. Tenter de résister à cette idée que le Blanc est forcément le chef est un travail de chaque instant.


Le Cameroun c’est le Cameroun…

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