jeudi 12 juillet 2018

Le Cameroun c'est le Cameroun -15-

« Une arrivée à Yaoundé ne peut jamais se passer sans un peu de théâtralité, un peu de suspense », écrivais-je il y a un peu plus d’un an. Un départ pour Yaoundé ne peut jamais se passer sans un peu de théâtralité, un peu de suspense non plus, pourrais-je écrire aujourd’hui.

Tout a commencé la semaine dernière : mon billet d’avion enfin en poche, je me rends à l’ambassade du Cameroun à Bruxelles pour déposer ma demande de visa. Sous tous les cieux, sous toutes les latitudes, sous tous les régimes, les ambassades sont les lieux de la représentation du pouvoir, les lieux de l’humiliation et de la peur. Je connais la tâtillonnerie des fournisseurs de visas, j’avais balisé le dossier, pensais-je. Et pourtant. Dossier refusé, il manque un tampon officiel sur l’un des papiers. Je m’étonne. J’ai le malheur de m’étonner. (Il ne faut jamais s’étonner dans les ambassades, sous tous les cieux, sous toutes les latitudes, sous tous les régimes.) « Plusieurs fois déjà je me suis rendue au Cameroun, on ne m’a jamais demandé un tel tampon. » « Les règles changent, Madame, quand on se rend dans une administration on se plie aux lois en vigueur, sinon on reste chez soi. » Certes.

Deuxième essai le lendemain, dossier cette fois-ci accepté, je dois me présenter le lendemain pour récupérer mon passeport muni de son précieux laisser-passer. Mais ce ne pouvait pas être si simple. Troisième jour, troisième passage à l’ambassade, je récupère mon passeport, muni de son fameux visa… expirant une semaine avant mon retour ! Je refais la file (il faut beaucoup faire la file dans les ambassades, sous tous les cieux, sous tous les climats, sous tous les régimes). Lorsque mon tour arrive, on me dirige vers l’un des secrétaires de l’ambassade. Je le connais lui. J’ai déjà eu affaire à lui l’an dernier. L’archétype du mâles décidé à se venger sur tout ce qu’il considère comme inférieur (comprenez : les femmes) des humiliations qu’il subit vraisemblablement de ses supérieurs. Le fameux principe de l’échelle du pouvoir. Je tape en-dessous à défaut de pouvoir me protéger des coups qui arrivent d’en-dessus. Face à lui je baisse le regard. J’essaie de lui expliquer mon histoire. Rien n’y fait, il a besoin de sa séance d’humiliation quotidienne et c’est tombé sur moi. Et pourtant, je ne suis pas à plaindre. Ma peau blanche est le meilleur des visas, comme me le rappelait un ami camerounais à qui je racontais cette histoire. Quels que soient les méandres et les retards, je finirai par obtenir mon visa. Peut-être devrai-je payer deux fois, comme ce fut le cas l’an dernier, peut-être devrai-je accepter de me faire humilier par un secrétaire consulaire en mal de reconnaissance, mais rien n’entravera durablement mon départ, l’inverse n’est pas toujours vrai, et je connais nombre d’amis qui ont dû renoncer à des projets de création, à des voyages, à des projets de vie, parce qu’un visa leur a été durablement refusé. On n’est pas égaux face aux administrations, sous tous les cieux, sous toutes les latitudes, sous tous les régimes…

Après une vingtaine de minutes d’humiliation en règle, me voici donc avec un visa en poche, corrigé manuscritement, espérant que ce bidouillage de date effectué par Monsieur le secrétaire consulaire himself ne sera pas remis en cause à mon arrivée (J’imagine déjà, dans un élan dramatique, la scène à la douane : « madame, ce visa est un faux, nous vous expulsons par le premier vol retour »… Puis je repense à cet ami camerounais et je me rappelle qu’on n’expulse pas les Blancs. Privilège encore et toujours d’être née du côté des « expat » et des « coopérants » et non de celui des « réfugiés » ou des « migrants ». Ne jamais l’oublier.)


Restait à préparer mes valises et à effectuer mon check-in. J’ai opté pour un billet Air France, départ de Paris, TGV Bruxelles-Paris inclus dans le prix. Lors de l’achat de ce billet, l’employée d’Air France m’avait précisé que je pouvais apporter mes bagages à la gare le jour précédent pour les enregistrer, me présentant ainsi uniquement avec mon bagage à main au départ du train le dimanche matin à 10h35. J’avais noté dans un coin de ma mémoire que je devais me présenter au guichet le samedi avant 16h, et j’étais repartie vaquer à mes occupations.

Dernier jour hier, donc, me voici rassemblant les affaires que je dois prendre avec moi, quelques vêtements et un lot impressionnant de colis destinés à la sœur de la nièce du parrain de… ou au cousin de la grand-mère de… Partir loin, c’est aussi servir de convoyeur.

Le premier tri effectué, je me mets en route pour effectuer les dernières courses, acheter les trois bêtises qui manquent à ma liste. De retour chez moi aux environs de 14h, je vérifie par acquit de conscience sur mon billet toutes les informations importantes. Et je lis : « luggages check-in : 8 :00 AM to 3 :00 PM. Ma mémoire m’avait joué un sale tour.

Un coup d’œil à ma montre me le confirme, il est exactement 14h07. Sachant que sans bagages et marchant d’un (très) bon pas il me faut au bas mot douze minutes pour me rendre à la gare, sachant que le comptoir d’enregistrement Air France est tout au fond de ladite gare qu’il faut donc traverser intégralement, sachant enfin que je dois encore faire protéger mes bagages d’un film plastique indispensable quand on voyage loin, je dois donc partir de chez moi à 14h20-14h25 dernier délai. Jamais valises n’ont été remplies aussi vite, et je vous tiendrai au courant au fil des jours des choses étranges et superflues que j’ai jeté dedans et des choses indispensables que j’ai oubliées.

Me voilà donc partie, bête de somme ployant sous le fardeau des colis à apporter à la sœur de la nièce du parrain de… et au cousin de la grand-mère de… Je cours, ou plutôt je tente de courir, je sue je souffle, je maudis la Belgique qui a gagné son quart de finale le soir précédent et qui m’a obligée à fêter ça avec force bières jusqu’à pas d’heure, et j’arrive enfin au comptoir Air France à 14h54.

Là, un employé souriant (Si, si, ça existe) m’aborde : « Madame, à cause de grèves à la SNCF, nous ne sommes pas en mesure de prendre vos bagages aujourd’hui. D’ailleurs, je vois que votre train est à 10h33 demain, nous ne sommes pas certains qu’il va circuler, il vous faudrait donc prendre celui de 8h25 pour être sure d’arriver à temps à l’aéroport. Et n’oubliez pas que le jour même vos bagages doivent être enregistrés une heure avant le départ au plus tard. Il vous faudra donc vous présenter à notre guichet à 7h25 dernier délai. »

Il pouvait bien sourire le bougre. M’annoncer que je dois être à la gare à 7h25 au lieu de 10h15, alors que je suis invitée le soir-même à la pendaison de crémaillère d’un ami camerounais, justement ! Il ne se rend pas compte de ce qu’il m’annonce-là, du nombre d’heures de sommeil dont il vient de me priver. Et non content de son forfait, il m’achève d’un « non, nous ne prenons pas de consigne, vous devez repartir avec vos bagages et revenir avec demain matin ».

Je jetterai un voile pudique sur la soirée de pendaison de crémaillère, sur le nombre de bières éclusées, et sur le petit bout de nuit que j’ai tenté de passer. Je reprends le cours de cette histoire ce matin, à 7h, au guichet d’Air France. « Ah non Madame, nous ne pouvons pas vous faire partir dans un train plus tôt contrairement à ce qui vous a été dit hier parce qu’il est complet. C’est à cause des TGV annulés d’hier, les reports, vous comprenez, mais n’ayez aucune inquiétude, votre TGV de 10h33 circule normalement.

Le Cameroun c’est le Cameroun, certes, mais la Belgique c’est la Belgique aussi !

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