mardi 30 mai 2017

Le Cameroun c'est le Cameroun -13-

Une crise d’eurocentrisme peut survenir n’importe quand. Elle vous tombe dessus sans prévenir, un peu comme une crise de palu. Elle attaque sournoisement vos défenses et votre intelligence et vous laisse sur le flanc, hébétée, un peu honteuse peut-être d’avoir succombé. Il m’arrive souvent de rougir intérieurement d’un regard jugeant que je jette sur une personne, une situation. Il m’arrive tout aussi souvent de bégayer une fin de phrase peu convaincante, m’apercevant en cours de route combien la monstruosité occidentalo-centrée que je m’apprêtais à proférer allait être blessante pour mon interlocuteur.

Ce matin, j’avais rendez-vous avec un ami metteur en scène, spécialiste du théâtre pour enfants, afin d’aller assister à son spectacle dans une école primaire de la ville. Après un trajet en taxi digne d’une poursuite dans film d’action américain (nous avions rendez-vous à l’école à 9 h et mon ami est arrivé pour me chercher à 9 h 30. Le taxi avait donc mandat ne pas rajouter du retard au retard, malgré les embouteillages et le chargement hétéroclite de décors et de costumes qui encombrait son coffre, autant dire qu’on se serait crus dans un remake de Mission Impossible), nous parvenons enfin à l’école primaire où doit se dérouler la représentation. Les enfants sont déjà installés devant la scène et trépignent d’impatience. Les deux comédiens du spectacle sont également là, joignant leur impatience à celle des élèves, et mon ami se précipite pour monter le décor et préparer la scène, sous le regard des mômes. 

Je m’installe au fond du préau, dans un recoin, et j’observe. Rien de ce qui se déroule devant mes yeux n’est conforme à l’idée préconçue qui se forme dans mon esprit d’occidentale lorsqu’on prononce les mots « école primaire ». Les élèves en uniforme semblent à vue de nez avoir entre 3 et au moins 12 ou 14 ans. L’un d’eux, un garçon, porte une petite fille de moins d’un an dans ses bras. Je m’invente un scénario à base de mère malade et d’aîné chargé de veiller sur la petite dernière. Ou de paternité (vraiment très) précoce, le môme doit avoir à peine 8 ans. Certains enfants mangent, d’autres observent les préparatifs qui ont lieu sur la scène, d’autres encore semblent somnoler sur leur chaise. Au fond du préau, dans un recoin, une partie de football improvisée s’organise, une bouteille en plastique vide servant de ballon.

Les institutrices sont réparties en deux groupes. Elles sont une demi-douzaine pour près de deux cents enfants, ce qui correspond à ce qu’on m’a raconté du surpeuplement des classes qui atteignent facilement soixante à quatre-vingts élèves. Celles du premier groupe sont assises, pianotent sur leurs smartphones ou écoutent de la musique, le casque de leur baladeur sur les oreilles. Celles du deuxième groupe arpentent les rangées de chaises, la chicote à la main.

La chicote. Un morceau de caoutchouc, vraisemblablement découpé dans un pneu de moto ou de voiture. Lorsque les élèves chahutent trop, les coups pleuvent. Le plus souvent sans aucun résultat, personne ici ne semble être sensible à la douleur. Un petit garçon au regard espiègle assis juste devant moi subira l’ire professorale avec le sourire. Il se retournera vers moi et me lancera un regard qui semble me dire « tu as vu, même pas mal ! » 

J’essaie d’observer sans juger. De ne pas plaquer mes références et mes jugements de valeurs sur ce qui se déroule devant mes yeux. J’essaie. 

Après quelques minutes passées à contempler la foule des enfants, une institutrice s’approche de moi et me demande qui je suis. Je lui explique que je suis une amie du metteur en scène, qu’il m’a invitée à voir son spectacle, et que je ne dérangerai pas, que je ne ferai pas de bruit, que je veux juste rester au fond de la salle pour regarder si elle veut bien (elle a une chicote à la main, on ne sait jamais, je préfère ne pas l’indisposer !) Je ne lui dis rien de plus. Ni que je travaille moi aussi dans le domaine du théâtre, ni que je suis metteure en scène, non, rien d’autre que l’invitation qui m’a été faite de venir assister au spectacle. Elle me souhaite la bienvenue et interpelle l’une de ses collègues qui nous rejoint. Tout sourire, elle lui dit alors : « Je te présente Madame qui est venue contrôler le travail du metteur en scène ».

Ma peau blanche m’a ainsi fait passer sans examen ni compétences avérées du rang de simple spectatrice à celui de contrôleuse des travaux finis. Tenter de résister à cette idée que le Blanc est forcément le chef est un travail de chaque instant.


Le Cameroun c’est le Cameroun…

jeudi 25 mai 2017

Le Cameroun c'est le Cameroun -12-

Dans la série des inventions géniales qui finissent par vous pourrir la vie, il y a la moustiquaire.

La mienne est bleue. En nylon.

Le principe d’une moustiquaire est en théorie de délimiter un espace entre le moustique et vous. Lui à l’extérieur, vous à l’intérieur, protégé des piqures et surtout (surtout !) des vrombissements de la bestiole autour de vos oreilles. Sauf que. De la théorie à la pratique, il y a un fossé de petits accrocs à colmater et de tissu à coincer sous le matelas.

J’ai bien observé ma moustiquaire, elle a deux petits trous. Pas trois. Juste deux, plus petits que l’ongle de mon petit doigt mais qui, pour un moustique, ressemblent à l’entrée principale du Taj Mahal. 

Depuis que je suis ici, je cherche le meilleur moyen de les colmater. (Je n’avais évidemment pas pensé, en préparant mes bagages, à glisser dans ma valise du fil et une aiguille. Je vais rajouter cela sur la liste-des-objets-indispensables-à-n’oublier-sous-aucun-prétexte pour la prochaine fois, s’il y a une prochaine fois.) 

J’ai essayé de tendre assez la moustiquaire pour que les trous se retrouvent coincés sous le matelas, mais ils sont situés juste trop haut. Et chacun d’un côté opposé, ce qui m’empêche de tirer plus d’un côté que de l’autre pour colmater les brèches. 

J’ai essayé de poser mes deux oreillers verticalement contre les trous, mais l’installation ne tient pas la nuit entière et je n’arrive pas à dormir sans oreiller.

J’ai essayé de colmater les trous avec des boulettes de papier toilette, mais mes gigotages nocturnes les font tomber avant l’aurore. 
C’est finalement ma crise de malaria qui m’a apporté la solution : le médecin avait dû acheter du coton pour me désinfecter la fesse avant de m’administrer les piqures salvatrices, et les boulettes que j’ai fabriqué avec le reste d’ouate tiennent dans l’orifice jusqu’au petit matin. 

Le problème des trous résolus, je pensais pouvoir compter sur des nuits tranquilles. Encore faut-il pouvoir se coucher. Ma moustiquaire bleue est juste trop courte pour vraiment bien tenir coincée sous le matelas. Ou alors elle a juste été fixée un peu trop haut au plafond. Toujours est-il que tous les soirs, je passe un certain temps à tenter de la coincer correctement sous mon matelas, de manière à ne laisser aucune interstice au passage des vrombisseurs. Je fais le tour du lit, en insérant bien la toile entre le matelas et le sommier, tout en laissant juste assez de place pour pouvoir me glisser à l’abri sous le nylon bleu et colmater les derniers centimètres de l’intérieur de mon lit.

Ce qui semble en théorie facile s’avère un défi à relever tous les soirs. Dès que je commence à m’introduire sous la moustiquaire, l’un des angles se relève et laisse une béance à la disposition de qui voudra y passer pour venir festoyer de mon sang. Je m’efforce donc de recommencer, de coincer mieux le coin récalcitrant, et je retente le passage sous l’abri. C’est généralement là que l’une des boulettes de coton hydrophile tombe. À l’extérieur du lit évidemment. M’obligeant à ressortir pour tout recommencer. Et quand enfin après trois ou quatre allers et venues dedans-dehors je m’allonge en sueur, c’est pour constater que j’ai oublié de régler l’alarme de mon téléphone portable qui me nargue sur le bureau. C’est donc reparti pour une séance de « je me glisse sous la moustiquaire, je râle parce qu’elle s’est soulevée du matelas, je la remets en place, je tente de me faufiler dans le lit sans la déplacer, ça se décoince ailleurs je recommence et je me couche finalement en sueur ».

Le pire, c’est que malgré toutes ces précautions, je me réveille tous les matins constellée de nouvelles piqures. De magnifiques bubons rouges qui décorent ma peau comme autant de bijoux provisoires. Et qui démangent. Moi qui ne suis d’habitude pas très sensible aux attaques des moustiques, ceux d’ici me laissent de terribles protubérances sur la peau qui peinent ensuite à cicatriser. 
Je me désespère chaque matin en me demandant comment ces foutus insectes ont réussi à pénétrer dans mon abri que j’ai pourtant si soigneusement et hermétiquement fermé. J’inspecte, j’observe, j’étudie, je réfléchis, mais je ne trouve pas. Les moustiques doivent posséder la clé d’une entrée secrète qui leur permet de venir festoyer dans mes veines sans que je ne réussisse à trouver où se cache leur passage secret.

Ce matin, j’ai constaté que le banquet s’était déroulé sur mon bras gauche. Me découvrant au réveil maugréante devant mon café fumant, le régisseur d’OTHNI me demande la cause de ma mauvaise humeur matinale. (Il avait pris soin d’attendre que ma tasse de café soit vide pour me poser la question, il me connaît maintenant et sait que les questions posées avant la dégustation totale de mon premier café restent au mieux sans réponse ou s’attirent des marmonnements grincheux).

Dépitée, je lui raconte ma moustiquaire juste trop courte pour tenir correctement sous le matelas, ma lutte vespérale et quotidienne contre les interstices, mon impression de réussir à coincer correctement la protection, mon incapacité à trouver le matin où se situe le passage et les ravages des suceurs de sang. Et je lui montre mon bras. Sa réponse tombe instantanément :
« Ah mais ça c’est pas des piqures de moustiques, ça c’est des puces de lit, fallait le dire, on va traiter ton matelas, tu n’auras plus de problèmes ».

Me voici donc rassurée, ma technique de lutte contre les envahisseurs était donc bonne, et les attaques ne provenaient pas de l’extérieur. L’ennemi, comme souvent, était à l’intérieur !


Le Cameroun c’est le Cameroun… 

vendredi 12 mai 2017

Le Cameroun c'est le Cameroun -11-

C’était une journée comme les autres. La soirée s’annonçait calme, j’avais prévu de me coucher tôt. Vers 18 h, un ami comédien passe à OTHNI et me propose de m’emmener boire un verre pour parler théâtre, création, écriture, et refaire un peu ce monde qui en a bien besoin. Nous voici donc grimpant la colline qui sépare le calme lieu de résidence de la fureur de la rue et de ses bars. 

Assis à une terrasse, une bière devant nous, nous évoquons un ami commun, auteur et metteur en scène. Impulsivement je propose de l’appeler et de lui proposer de nous rejoindre. Aussitôt dit aussitôt fait, il est 19 h et nous entamons une reconstruction du monde à trois voix. Un moment plus tard, deux autres amis, l’un danseur l’autre régisseur passent devant notre terrasse, ils sortent d’OTHNI où ils ont travaillé toute la journée à un spectacle qui doit se jouer dans quelques jours. Ils s’assoient à notre table et le monde continue d’être refait à cinq voix maintenant. 

De fil en aiguille, à 20 h nous sommes huit à table. À 22 h nous sommes dix, et à minuit douze voix s’élèvent pour égrener les avantages et les inconvénients de la société camerounaise, les avantages et les inconvénients de vivre à « Mbengè », c’est à dire en Europe. La parole s’arrache de chaise en chaise, le verbe est haut, la bière a augmenté les décibels et chacun y va de son commentaire politique sur les dernières élections, les futures élections, l’absence d’élections, le trucage des élections, ici comme ailleurs.

Tandis que je tente de suivre les propos de chacun, mon regard est attiré par une voiture de police genre pick-up qui stoppe à hauteur de notre terrasse. Les hommes en uniforme sont trois à l’intérieur. L’un descend, s’approche, et d’un geste autoritaire s’empare de trois chaises vides à côté de nous pour les jeter sur la plage arrière du pick-up. Les oreilles accrochées à la conversation de la tablée, le regard plongé sur la scène en train de se jouer, je tente de comprendre ce qui se passe. La patronne du lieu, ou est-ce la serveuse, ainsi qu’un autre homme qui semble être un client se sont approchés du policier descendu de son véhicule. Le ton monte, un attroupement se forme, mais je n’arrive pas à capter ce qui se dit. Mon esprit toujours prompt à inventer les pires catastrophes imagine déjà que ce bar est un lieu clandestin, interdit, qu’il s’y déroule un sombre trafic de drogue, d’alcool de contrebande, d’êtres humains qui sait, et que nous allons tous être embarqués comme complices par les forces de l’ordre. Je m’imagine déjà passant la nuit à Kondengui, la prison centrale de Yaoundé, je me mords les doigts de n’avoir pas averti l’ambassade de Suisse de ma présence au Cameroun, des images du film Midnight Express défilent devant mes yeux. Tout cela en une fraction de seconde, tandis que mes amis continuent à vociférer, comme si de rien n’était. Ils ne semblent pas même avoir capté l’intrusion des policiers à notre terrasse.

Au niveau du pick-up, un attroupement s’est formé. Ça cause, ça palabre, ça tente de récupérer les chaises. 

Puis mon regard capte le manège de la seule femme de l’attroupement, celle qui doit être la patronne du lieu, ou la serveuse. Elle récupère quelques billets dans sa poche et auprès de certaines personnes autour d’elle puis l’air de rien, comme si elle voulait demander une réconciliation, un apaisement, elle serre la main du policier, les billets cachés à l’intérieur. La tension retombe, le client qui était intervenu en premier récupère les chaises qu’il replace à la table à côté de nous. Le débat en cours sur la future réélection du président camerounais lors des élections qui se tiendront l’an prochain continue à échauffer les esprits à notre table.

Je ne sais comment interpréter ce que j’ai vu. Prélèvement de l’impôt sur les bars et les terrasses ? Acte de corruption ? Policiers fatigués voleurs de chaises pour se reposer ? Fonctionnement différend d’un pays où tout m’échappe ? Ce que je sais, c’est qu’un ami médecin en poste dans un hôpital public, et donc fonctionnaire d’état, n’a pas reçu son salaire depuis quinze mois maintenant, et qu’il ne vit que grâce à la « générosité » de ses patients qui paient de la main à la main un supplément au prix de la consultation qui va directement dans sa poche. Les policiers que j’ai vu agir sont-ils dans le même cas ? Sont-ils privés de salaire pour une obscure raison administrative depuis trop longtemps ? Quoi qu’il en soit, qui est à blâmer, si tant est que quelqu’un le soit ? L’état ? La police ? Ce groupe de fonctionnaires en particulier ? Les commerçants qui acceptent de se prêter au système ? 

Le pick-up est reparti, et la conversation de la table a dévié. De la problématique des futures élections, on est passé aux vertus comparées des différentes bières consommées par l’assemblée. Plus tard, nous reparlerons de création, l’alcool aidant, nous inventerons des idées de spectacles qui parlent d’eau folle et de chauffeurs de lièvres, nous déclamerons des amorces de textes géniaux que nous aurons oublié le lendemain matin. Des policiers qui voulaient embarquer nos chaises, nous ne parlerons point.


Le Cameroun c’est le Cameroun… 

mardi 9 mai 2017

Le Cameroun c'est le Cameroun -10-

Bimbia.

Le taxi-moto grimpe péniblement la piste caillouteuse qui monte à l’assaut de la colline. Au détour d’un virage, parfois, une trouée dans la densité végétale permet d’apercevoir l’océan en contrebas.

Bimbia.

Le taxi-moto plonge en roue libre dans la descente pour économiser le carburant. Au vent qui siffle aux oreilles se mêlent alors des chants d’oiseaux. Ils sont partout. Ils piaillent chantent et jacassent et même le vibrato essoufflé du moteur de la bécane ne réussit pas à couvrir entièrement leur bruit.

Bimbia.

Un dernier virage et nous voici face à un grand portail de fer. Derrière, autour, de gigantesques îlots de bambous forment des voûtes émeraude. La végétation est si dense que même sous le soleil de plomb de la mi-journée on a l’impression d’être au crépuscule.

Bimbia.

Passée la cathédrale de bambou, un reste d’habitation, quelques briques une chape de béton, le tout recouvert d’une épaisse mousse qui donne à cette ruine une beauté nostalgique et sauvage.


Bimbia.

Plus loin une mangeoire. Une longue auge de pierre à laquelle des anneaux métalliques sont encore accrochés. Elle précède un bâtiment empli de colonnes dont la partie médiane a été usée par le frottement des chaînes.

Bimbia.

Porte du non-retour. Une simple ouverture, une trouée dans un mur recouvert de lichen. Un passage vers la mer qui alors arrivait jusqu’au pied du bâtiment.

Bimbia.

La voix du guide qui termine chacune de ses explications par la toujours même phrase : « Ici,beaucoup mouraient. »

Les pierres sur lesquelles on apposait les chaînes. « Ici beaucoup mouraient. »


Les cages destinées à trier les individus plus ou moins valides. « Ici beaucoup mouraient. »


L’endroit où le fer rouge marquait la chair de l’insigne du nouveau propriétaire. « Ici beaucoup mouraient. »


Le magasin des hommes, celui des femmes, des enfants même. « Ici beaucoup mouraient. »


L’île Nicholls juste en face où les individus les plus récalcitrants étaient emmenés et abandonnés. « Ici beaucoup mouraient. »

Bimbia.

Je me tiens debout face à l’océan.

Je me tiens debout sous une nuée de moustique et je m’interroge. Comment accepter ? Comment prendre cette responsabilité sans culpabiliser ? Comment continuer ? Comment réparer ? Peut-on réparer ? Que faire de ce passé où des hommes ont traité leurs frères comme on n’oserait plus traiter un animal aujourd’hui ? Peut-on pardonner ? Que faire de la douleur ? Que faire de ces cris muets qui suintent du lichen comme une supplique ininterrompue depuis près de deux cents ans ?


Bimbia.

Port martyre du Cameroun d’où sont partis des milliers d’hommes pour ne plus jamais revenir.

Le Cameroun est-il toujours le Cameroun ?

jeudi 4 mai 2017

Le Cameroun c'est le Cameroun -9-

J’ai retrouvé Mon Oiseau !

Lors de mon dernier séjour à Yaoundé, le centre de résidences artistiques OTHNI était encore en travaux. Durant les premières semaines de mon séjour, j’ai gratté les murs, poncé, lavé, récuré, repeint, participé aux travaux qui devaient permettre l’ouverture de cet incroyable outil de travail pour les artistes. Toute l’équipe du spectacle sur lequel je travaillais alors comme assistante a consacré des semaines de labeur acharné en soirée, après nos journées de répétitions, pour rénover le lieu en vue de son inauguration qui devait correspondre à la première de notre spectacle. Au bout de quelques jours, nous avions réussi à aménager à peu près correctement une chambre de résidence. Il y avait de l’eau, de l’électricité (du moins quand le quartier n’était pas victime de délestage), et Martin Ambara, le directeur du projet m’a alors proposé de dormir sur place, pour m’éviter de longs trajets en taxi à travers la ville. Je fus donc à l’époque la toute première personne à dormir à OTHNI, honneur que je porte encore aujourd’hui en bandoulière et dont je suis bien plus fière que de n’importe quelle médaille !

Au premier soir, je me suis donc couchée dans l’immense bâtiment vide. J’entendais la rumeur de la ville dans le lointain, et les chants des oiseaux autour de moi. Un hibou hulula dans un arbre proche cette nuit-là, ce qui nous valut par la suite bien des discussions, cet oiseau étant considéré comme porte-malheur au Cameroun.

C’est le lendemain matin à mon réveil que je l’ai entendu pour la première fois. Celui que j’ai appelé « Mon Oiseau », faute de savoir son nom, faute de savoir même à quoi il ressemble.

Son chant a enveloppé l’aurore qui rosissait le ciel. Un chant de soleil et de victoire. Un chant qui racontait la puissance et l’assurance d’être le maître d’un royaume. Un chant aussi qui, j’ai du moins voulu le croire, saluait notre installation à OTHNI et le départ de cette aventure artistique. Quelques notes parfaitement rythmées, à la mélodie composée par un orfèvre en arpèges. Un appel à l’harmonie que j’ai ensuite régulièrement entendu, couvrant de sa stridence tous les autres gazouillis. J’écoutais sa mélodie, le rythme de son chant, comme on écoute un hymne religieux. J’avais même à l’époque, imaginé commander à un musicien de composer la musique de l’un de mes spectacles en se basant sur ces quelques notes. J’ai rêvé de posséder quelque talent de musicienne ou de chanteuse pour pouvoir transmettre ce chant qui m’obsède.

Je me suis alors mise à scruter les buissons et les arbres. Ceux du jardin d’OTHNI, qui n’étaient à l’époque que de vagues touffes de presque mauvaise herbe, ceux de la végétation alentours. En face du grand portail d’entrée, un manguier, plus loin un avocatier, d’autres arbres dont j’ignore le nom… J’y ai vu de petits oiseaux un peu ternes, ressemblant à des moineaux, qui gazouillaient. De grands oiseaux au ventre jaune vif et à la tête noire qui piaillaient. Un genre de grands corbeaux au ventre beige qui croassaient. Des serins qui s’affairaient en trillant…

Mais je n’ai jamais vu Mon Oiseau. Je ne sais pas s’il est grand ou petit, terne ou coloré. De lui je ne connais que son chant qui jaillit dans l’atmosphère aux moments les plus inattendus, le plus souvent au crépuscule.

Cette année, en arrivant à Yaoundé début avril, j’ai repensé à lui, Mon Oiseau, et je me suis demandé si son chant viendrait saluer mon arrivée. Mais rien. Le ciel bruissait de gazouillements, de stridulations, de pépiements, mais de son chant point. J’en suis venue à me dire que j’avais rêvé, que cet air n’existait que dans mon imagination, qu’aucun oiseau n’était capable de tant de perfection.

Et voilà que hier soir, au moment où je ne l’attendais plus, son chant a troué la nuit qui s’avançait. Quelques notes triomphales qui m’ont mis les larmes aux yeux. Il était là. Il était de retour. Mon Oiseau. Je me suis précipitée hors de ma chambre, j’ai scruté les arbres, les buissons d’OTHNI qui depuis sont devenus de beaux arbustes enchantant le jardin intérieur de la résidence. Mais je ne l’ai pas vu. Il restera à tout jamais cet inconnu dont le chant m’inspire harmonie et puissance, dont les trilles me soufflent que la vie est un soleil.


Le Cameroun c’est le Cameroun…

lundi 1 mai 2017

Le Cameroun c'est le Cameroun -8-

Nous ne sommes pas égaux face à la maladie. J’ai pu constater cette semaine combien ce dicton s’avère vrai dès qu’on se trouve dans un pays étranger.

Balayée par une sévère crise de paludisme qui m’a laissée sur le flanc, avec une fièvre frôlant par moments les 41°, j’ai pu apprécier combien mon statut de Blanche m’a à la fois servi dans mon accès aux soins et desservi dans ma lutte contre le mal.

La plupart de mes amis Africains, qu’ils soient originaires du Cameroun, du Burkina Faso, du Congo Brazzaville, de la RDC ou d’ailleurs souffrent périodiquement de crises de palu. Je ne pense pas qu’aucun d’eux en soit affecté autant que je l’ai été. Au point que pour la première fois de ma vie, j’ai dû annuler une journée de répétitions. Depuis que je fais du théâtre, j’ai été amenée à répéter dans des états parfois seconds. Avec une angine infectieuse, avec un pied cassé, avec divers maux et virus que j’ai toujours combattus vaille que vaille, brave petit soldat dévoué à la cause théâtrale. Mais là rien à faire. Le premier jours j’ai résisté. Le second, j’ai déposé les armes. Tremblante, suante de fièvre, les muscles tétanisés, l’estomac en vrac, je ne tenais tout simplement plus debout. J’ai dû me faire une raison et dire à mes stagiaires de rester chez elles. L’une d’elles a d’ailleurs eu une réaction qui m’a beaucoup interpellée, me disant au téléphone qu’elle en voulait à son pays de m’avoir contaminée, et que ce n’était pas normal que je vienne ici pour attraper une maladie. Comme si le pays était responsable du fait que je me tape une crise de palu alors que tout le monde ici en a régulièrement. Comme si les virus se devaient d’appliquer la préférence nationale !

Malade donc, ce que j’avais d’abord pris pour un début de grippe attrapée lors de ma fameuse nuit au stade à attendre sous la pluie l’arrivée de Maître Gims s’est avéré être finalement plus grave que prévu. Je me rappelle lors de mon dernier séjour au Cameroun avoir accompagné à l’hôpital l’une des comédiennes du spectacle qui avait fait une crise de fièvre typhoïde, l’autre mal qui ravage la région. Je me rappelle nous être entassés à plusieurs dans un taxi pour l’accompagner aux urgences, elle semi-comateuse, nous (moi surtout, moins habituée à assister à ce genre de crise) morts d’inquiétude. Je me rappelle l’attente aux urgences, sur un lit tenant plus du brancard. Je me rappelle nous être cotisés car avant toute chose il faut passer à la pharmacie de l’hôpital acheter tout ce dont le médecin aura besoin pour l’examen, thermomètre inclus. Sans argent, pas de prise en charge. Je me rappelle la salle d’examen à la propreté douteuse, les lézards sur les murs et la souris qui fit une apparition pendant que le médecin examinait notre amie. Je me rappelle l’hospitalisation de cette comédienne, l’un de nous repartant lui chercher des draps car l’hôpital ne les fournit pas. Je me rappelle un autre comédien refusant que je reste auprès d’elle durant la nuit et se dévouant pour le faire, car un proche doit rester auprès du patient : il n’y a pas assez de personnel pour que les infirmières fassent des rondes la nuit, c’est donc à l’accompagnant d’aller la chercher si quelque chose ne va pas, ou simplement pour l’avertir que la poche à perfusion est vide et qu’il faut la changer.

Autant dire donc que voyant ma fièvre monter je n’en menais pas large. Mais si le fait d’être Blanche me rend plus douillette face au virus, il me rend aussi privilégiée dans l’accès aux soins et dans le choix qui m’est offert. J’ai en effet bénéficié d’un médecin privé, venu me consulter à domicile (bon d’accord, je le connaissais par ailleurs et c’est une ami, mais il n’empêche…) et me prescrire un traitement radical qui m’a remise à peu près sur pied en quarante-huit heures. 

L’ami médecin s’est déplacé le premier soir pour m’injecter une dose de médicament miracle (« C’est la nouvelle molécule qui vient de sortir et qui remplace la quinine, bien plus efficace, ça a été inventée par les chinois » m’a-t-il dit. « Mais est-ce vraiment une bonne idée de me laisser injecter un truc chinois dans les fesses ? » ai-je eu le temps de penser du fond de mon coma fiévreux avant de sentir l’aiguille trouer ma peau), m’a veillée toute la nuit, s’assurant que je ne partais pas en convulsions fébriles, m’a refait une injection le lendemain matin, puis est revenu le jour suivant me piquer les fesses pour la troisième fois. Trois injections, suivies de trois jours de médication, le tout made in China, mais fort efficace car me voici aujourd’hui bon pied bon œil comme si rien ne s’était passé. Et en bonus, m’a promis l’ami médecin, je suis immunisée pour le reste de mon séjour. Ce n’est certes pas ainsi que j’imaginais ce qu’on appelle la médecine chinoise, mais je m’incline face au résultat. Seule ombre au tableau, ce traitement miracle a un prix, ridiculement bas pour moi, mais bien trop haut pour la majorité des gens que je fréquente ici : le prix de deux places assises de seconde catégories au concert de Maître Gims ! 


Le Cameroun c’est le Cameroun…