mardi 9 mai 2017

Le Cameroun c'est le Cameroun -10-

Bimbia.

Le taxi-moto grimpe péniblement la piste caillouteuse qui monte à l’assaut de la colline. Au détour d’un virage, parfois, une trouée dans la densité végétale permet d’apercevoir l’océan en contrebas.

Bimbia.

Le taxi-moto plonge en roue libre dans la descente pour économiser le carburant. Au vent qui siffle aux oreilles se mêlent alors des chants d’oiseaux. Ils sont partout. Ils piaillent chantent et jacassent et même le vibrato essoufflé du moteur de la bécane ne réussit pas à couvrir entièrement leur bruit.

Bimbia.

Un dernier virage et nous voici face à un grand portail de fer. Derrière, autour, de gigantesques îlots de bambous forment des voûtes émeraude. La végétation est si dense que même sous le soleil de plomb de la mi-journée on a l’impression d’être au crépuscule.

Bimbia.

Passée la cathédrale de bambou, un reste d’habitation, quelques briques une chape de béton, le tout recouvert d’une épaisse mousse qui donne à cette ruine une beauté nostalgique et sauvage.


Bimbia.

Plus loin une mangeoire. Une longue auge de pierre à laquelle des anneaux métalliques sont encore accrochés. Elle précède un bâtiment empli de colonnes dont la partie médiane a été usée par le frottement des chaînes.

Bimbia.

Porte du non-retour. Une simple ouverture, une trouée dans un mur recouvert de lichen. Un passage vers la mer qui alors arrivait jusqu’au pied du bâtiment.

Bimbia.

La voix du guide qui termine chacune de ses explications par la toujours même phrase : « Ici,beaucoup mouraient. »

Les pierres sur lesquelles on apposait les chaînes. « Ici beaucoup mouraient. »


Les cages destinées à trier les individus plus ou moins valides. « Ici beaucoup mouraient. »


L’endroit où le fer rouge marquait la chair de l’insigne du nouveau propriétaire. « Ici beaucoup mouraient. »


Le magasin des hommes, celui des femmes, des enfants même. « Ici beaucoup mouraient. »


L’île Nicholls juste en face où les individus les plus récalcitrants étaient emmenés et abandonnés. « Ici beaucoup mouraient. »

Bimbia.

Je me tiens debout face à l’océan.

Je me tiens debout sous une nuée de moustique et je m’interroge. Comment accepter ? Comment prendre cette responsabilité sans culpabiliser ? Comment continuer ? Comment réparer ? Peut-on réparer ? Que faire de ce passé où des hommes ont traité leurs frères comme on n’oserait plus traiter un animal aujourd’hui ? Peut-on pardonner ? Que faire de la douleur ? Que faire de ces cris muets qui suintent du lichen comme une supplique ininterrompue depuis près de deux cents ans ?


Bimbia.

Port martyre du Cameroun d’où sont partis des milliers d’hommes pour ne plus jamais revenir.

Le Cameroun est-il toujours le Cameroun ?

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