S’il est un
endroit où l’adage « les premiers arrivés seront les premiers
servis » est mis à mal, c’est bien devant
le tourniquet à bagages !
Des années
de voyage m’ont permis de mettre au point une technique bien rodée, faite de
sortie précipitée de l’avion, de préparation de mes documents de bagages,
passeport ouvert à la bonne page, éventuel formulaire d’entrée dans le pays
dûment rempli, pour me retrouver parmi les premières face au fameux
tourniquet. Je suis également devenue
experte dans le maniement du chariot à bagages et dans le pronostiquage du sens
de rotation du tourniquet, et donc de l’endroit où se poster pour récupérer
valise et autres sacs le plus rapidement possible.
Cette
stratégie demande rapidité d’analyse et sens de la manœuvre, d’autres voyageurs
semblablement entraînés se précipitant généralement au même moment au même
endroit, ce qui risque de transformer le chariot à bagages précédemment
réquisitionné en auto-tamponneuse.
Me voici
donc hier soir, à mon arrivée à Yaoundé, idéalement positionnée dans les
premiers mètres du tapis roulant, chariot garé parallèlement au serpentin,
prête à recueillir les deux valises enregistrées à Bruxelles avec les
péripéties que l’on sait, impatiente de franchir le portillon qui me sépare des
retrouvailles avec les amis d’ici.
Lorsque le
tapis roulant dégorge ses premiers chargements, je me mets à assister à un
spectacle immuable dans tous les aéroports que j’ai fréquentés : chacun
essaie de reconnaître son bien parmi les bagages qui se ressemblent, tendant la
main vers l’étiquette nominative ou tout autre signe distinctif (voyager dans
les pays tropicaux implique presque toujours de passer par l’étape
« plastification » de votre valise, qui du coup ressemble comme deux
gouttes d’eau à la valise de votre voisin de cabine, emmaillotées qu’elles sont
toutes d’un même feuillet de plastique qui les a transformées en saucisses
géantes.)
La loi du tourniquet
à bagages est telle : les premières valises à entamer leur ronde ne sont
JAMAIS celles des premiers spectateurs postés devant le fleuve de bagages
plastifiés. Premiers arrivés derniers servis semble être ici la règle, comme si
un malicieux génie voulait nous punir d’être si impatients. Et nous voilà, nous
les as du débarquement express, contemplant le tournoiement des valises qui
passent et repassent devant nos yeux sans qu’un voyageur s’en saisisse.
Il y a
quelque chose d’éminemment théâtral dans ce moment d’attente. La petite crainte
qui enserre la poitrine, « et si ma valise n’apparaissait pas, si elle
s’était perdue, et si elles était abimée, ouverte ? » Le suspense qui
préside à cette attente vaut bien celui des soirs de première.
Tandis que je
patientais hier, méditant sur le sentiment que doivent éprouver les vaches qui
regardent passer les trains, mon téléphone portable se met à vibrer. Habituée
des sauts par-dessus les frontières, j’ai pensé au traditionnel message de
bienvenue dans le pays de l’opérateur local. Par acquit de conscience autant
que par réflexe d’hyperconnectée conditionné, je jette néanmoins un coup d’œil
sur l’écran de mon téléphone. « Air France vous informe que votre bagage
n° XXX ne sera pas livré à votre arrivée, il est en cours d’acheminement. Merci
de vous présenter au service bagages d’Air France ».
Voilà. On y
est. Cette fois c’est pour ma pomme. Immédiatement je m’interroge. J’ai deux
valises. L’une qui contient mes affaires personnelles, vêtements, trousse de
toilette, médicaments anti-palu, crème solaire, et l’autre qui est remplie
exclusivement des colis que l’on m’a confiés pour les transmettre à l’un ou
l’autre destinataire. Je n’ai reçu qu’un message, avec un seul numéro de colis.
Que faire ? Me rendre immédiatement au bureau d’Air France (La bonne
blague, comme s’il y avait un bureau d’Air France l’aéroport de Yaoundé !)
ou attendre de récupérer le second bagage, profitant de ma situation idéale au
démarrage du tapis roulant et m’y rendre
ensuite ? J’hésite, je tergiverse et finis par abandonner ma place
conquise de haute lutte sous le regard étonné des autres passagers qui me
voient reculer avec un chariot à bagages vide.
J’aborde un
employé de l’aéroport, lui montre le SMS, lui explique que j’ai deux bagages,
que je ne sais du coup pas s’ils se sont perdus les deux ou non. Il m’enjoint
d’attendre, m’affirmant que si je n’ai reçu qu’un SMS c’est que l’autre bagage
va arriver. Je retourne donc auprès du tapis sur lequel les valises continuent
leur ballet immuable. L’attente cette fois-ci se teinte d’inquiétude et
d’agacement. Ce voyage décidément est plein d’anicroches. Et quelle valise
s’est perdue alors ? Celle qui contient mes affaires personnelles ou
l’autre ? Celle qui contient les cadeaux à redistribuer ? L’un des
colis que l’on m’a confiés contenait-il quelque chose d’interdit ? Vais-je
me faire arrêter et envoyer en prison ? Midnight Express version
2018, c’est pour ma pomme ? Les minutes s’écoulent, le tapis roulant se
vide petit à petit, je suis de plus en plus persuadée qu’aucune de mes valises
ne me sera livrée lorsque contre toute attente elle apparaît. La valise aux
cadeaux. Celle qui contient les objets destinés aux autres. Pas celle qui
contient ma brosse à dents, mon gel douche, mes culottes propres et mon spray
anti-moustiques.
Je m’empare
du précieux bien et retourne trouver l’employé de l’aéroport qui m’escorte
jusqu’à un petit bureau où deux employés fatigués me font remplir un
formulaire. Je demande s’ils savent où est ma valise, ce qu’il s’est passé, et
surtout quand elle me sera livrée. « Vous restez combien de jours à
Yaoundé », me demande l’un. « Trente-huit, pourquoi ? »
« Oh, alors vous avez un espoir qu’elle arrive avant que vous
repartiez. » Me voilà rassurée… Et condamnée à vivre en attendant dans les
mêmes vêtements, les mêmes sous-vêtements, et à me laver à l’eau claire.
Le Cameroun
c’est le Cameroun…
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