jeudi 12 juillet 2018

Le Cameroun c'est le Cameroun -16-


S’il est un endroit où l’adage « les premiers arrivés seront les premiers servis » est mis à mal, c’est bien devant  le tourniquet à bagages !

Des années de voyage m’ont permis de mettre au point une technique bien rodée, faite de sortie précipitée de l’avion, de préparation de mes documents de bagages, passeport ouvert à la bonne page, éventuel formulaire d’entrée dans le pays dûment rempli, pour me retrouver parmi les premières face au fameux tourniquet.  Je suis également devenue experte dans le maniement du chariot à bagages et dans le pronostiquage du sens de rotation du tourniquet, et donc de l’endroit où se poster pour récupérer valise et autres sacs le plus rapidement possible.

Cette stratégie demande rapidité d’analyse et sens de la manœuvre, d’autres voyageurs semblablement entraînés se précipitant généralement au même moment au même endroit, ce qui risque de transformer le chariot à bagages précédemment réquisitionné en auto-tamponneuse.
Me voici donc hier soir, à mon arrivée à Yaoundé, idéalement positionnée dans les premiers mètres du tapis roulant, chariot garé parallèlement au serpentin, prête à recueillir les deux valises enregistrées à Bruxelles avec les péripéties que l’on sait, impatiente de franchir le portillon qui me sépare des retrouvailles avec les amis d’ici.

Lorsque le tapis roulant dégorge ses premiers chargements, je me mets à assister à un spectacle immuable dans tous les aéroports que j’ai fréquentés : chacun essaie de reconnaître son bien parmi les bagages qui se ressemblent, tendant la main vers l’étiquette nominative ou tout autre signe distinctif (voyager dans les pays tropicaux implique presque toujours de passer par l’étape « plastification » de votre valise, qui du coup ressemble comme deux gouttes d’eau à la valise de votre voisin de cabine, emmaillotées qu’elles sont toutes d’un même feuillet de plastique qui les a transformées en saucisses géantes.)

La loi du tourniquet à bagages est telle : les premières valises à entamer leur ronde ne sont JAMAIS celles des premiers spectateurs postés devant le fleuve de bagages plastifiés. Premiers arrivés derniers servis semble être ici la règle, comme si un malicieux génie voulait nous punir d’être si impatients. Et nous voilà, nous les as du débarquement express, contemplant le tournoiement des valises qui passent et repassent devant nos yeux sans qu’un voyageur s’en saisisse.

Il y a quelque chose d’éminemment théâtral dans ce moment d’attente. La petite crainte qui enserre la poitrine, « et si ma valise n’apparaissait pas, si elle s’était perdue, et si elles était abimée, ouverte ? » Le suspense qui préside à cette attente vaut bien celui des soirs de première.
Tandis que je patientais hier, méditant sur le sentiment que doivent éprouver les vaches qui regardent passer les trains, mon téléphone portable se met à vibrer. Habituée des sauts par-dessus les frontières, j’ai pensé au traditionnel message de bienvenue dans le pays de l’opérateur local. Par acquit de conscience autant que par réflexe d’hyperconnectée conditionné, je jette néanmoins un coup d’œil sur l’écran de mon téléphone. « Air France vous informe que votre bagage n° XXX ne sera pas livré à votre arrivée, il est en cours d’acheminement. Merci de vous présenter au service bagages d’Air France ».

Voilà. On y est. Cette fois c’est pour ma pomme. Immédiatement je m’interroge. J’ai deux valises. L’une qui contient mes affaires personnelles, vêtements, trousse de toilette, médicaments anti-palu, crème solaire, et l’autre qui est remplie exclusivement des colis que l’on m’a confiés pour les transmettre à l’un ou l’autre destinataire. Je n’ai reçu qu’un message, avec un seul numéro de colis. Que faire ? Me rendre immédiatement au bureau d’Air France (La bonne blague, comme s’il y avait un bureau d’Air France l’aéroport de Yaoundé !) ou attendre de récupérer le second bagage, profitant de ma situation idéale au démarrage du tapis roulant  et m’y rendre ensuite ? J’hésite, je tergiverse et finis par abandonner ma place conquise de haute lutte sous le regard étonné des autres passagers qui me voient reculer avec un chariot à bagages vide.

J’aborde un employé de l’aéroport, lui montre le SMS, lui explique que j’ai deux bagages, que je ne sais du coup pas s’ils se sont perdus les deux ou non. Il m’enjoint d’attendre, m’affirmant que si je n’ai reçu qu’un SMS c’est que l’autre bagage va arriver. Je retourne donc auprès du tapis sur lequel les valises continuent leur ballet immuable. L’attente cette fois-ci se teinte d’inquiétude et d’agacement. Ce voyage décidément est plein d’anicroches. Et quelle valise s’est perdue alors ? Celle qui contient mes affaires personnelles ou l’autre ? Celle qui contient les cadeaux à redistribuer ? L’un des colis que l’on m’a confiés contenait-il quelque chose d’interdit ? Vais-je me faire arrêter et envoyer en prison ? Midnight Express  version 2018, c’est pour ma pomme ? Les minutes s’écoulent, le tapis roulant se vide petit à petit, je suis de plus en plus persuadée qu’aucune de mes valises ne me sera livrée lorsque contre toute attente elle apparaît. La valise aux cadeaux. Celle qui contient les objets destinés aux autres. Pas celle qui contient ma brosse à dents, mon gel douche, mes culottes propres et mon spray anti-moustiques.

Je m’empare du précieux bien et retourne trouver l’employé de l’aéroport qui m’escorte jusqu’à un petit bureau où deux employés fatigués me font remplir un formulaire. Je demande s’ils savent où est ma valise, ce qu’il s’est passé, et surtout quand elle me sera livrée. « Vous restez combien de jours à Yaoundé », me demande l’un. « Trente-huit, pourquoi ? » « Oh, alors vous avez un espoir qu’elle arrive avant que vous repartiez. » Me voilà rassurée… Et condamnée à vivre en attendant dans les mêmes vêtements, les mêmes sous-vêtements, et à me laver à l’eau claire.

Le Cameroun c’est le Cameroun…




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