dimanche 9 avril 2017

Le Cameroun c'est le Cameroun -3-

« Tu as grossi… »

Voilà certainement la phrase que j’ai le plus entendu depuis mon arrivée ici. Il est vrai que les personnes que j’ai côtoyées lors de mon dernier séjour à Yaoundé il y a sept ans peuvent difficilement passer à côté de la quinzaine de kilos supplémentaires qui m’enrobent actuellement.

« Tu as grossi. » La première fois qu’on m’a accueillie d’une accolade digne d’un catcheur (mes côtes survivront-elles à l’intégralité de mon séjour ?) et d’un sonore « Aliiiiiiine c’est comment ? Bienvenue au Cameroun. Tu as grossi », j’ai quand même failli mal le prendre. Puis je me suis souvenu qu’ici dire à une femme qu’elle a grossi est un compliment. Que ça veut dire qu’elle va bien. Qu’elle a un bon mari qui la nourrit bien. Qu’elle a de nombreux enfants. Enfin qu’elle a grossi pour de bonnes raisons. Toutes choses qui font regimber la féministe jamais totalement assoupie que je suis. 

Alors je prends sur moi et je réponds « merci beaucoup » tout en me disant quand même que de la théorie à la pratique il y a un sacré fossé. En théorie, je suis prête à monter au créneau chaque fois qu’un homme va réduire une femme à son corps, ou faire un commentaire qui sous-entende que sa place est à la maison avec ses enfants à faire la popote pour son gentil mari qui rapporte le blé. En théorie, je suis exaspérée par les normes dictées par la société de consommation qui veut que nous soyons toutes minces, belles, éternellement jeunes et dynamiques. Et je milite pour que les femmes soient enfin délivrées de la dictature des régimes.

En théorie.

Parce qu’en pratique, lorsqu’on m’accueille d’un souriant « tu as grossi », je replonge immédiatement dans des gouffres de culpabilisation. Occidentale un jour, Occidentale toujours ! Et je me promets d’entamer un régime dès que je serai de retour à Bruxelles. De me remettre au sport aussi. Croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer. 

Et je me rappelle que je m’étais déjà solennellement juré avant de partir de me mettre au régime ici. Que j’avais décidé, mais vraiment décidé que je rentrerais avec au moins cinq kilos de perdus. J’avais juré oui, croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer. 

Oui, mais…

Mais le Ndolè. Mais les beignets-haricots suant l’huile. Mais le poisson braisé accompagné de ses bâtons de manioc. Mais le « jazz ». Mais le « couscous ». Mais le fufu sauce gombo. Mais les arachides. Mais les bananes plantain gorgées d’huile de palme. Mais le pain à l’avocat. Mais le Top pamplemousse hypersucré. Mais la bière… 

Je vais me mettre au régime en rentrant. Je me mets au régime en rentrant. Je décide de me mettre au régime en rentrant ! Mais vraiment. Promis juré. Croix de bois croix de fer, si je mens je vais en enfer.

Et j’accepte avec un sourire les « tu as grossi » avec lesquels on m’apostrophe, tout en léchant la sauce gombo qui dégouline de mes doigts.


Le Cameroun c’est le Cameroun…

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